Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/170

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promet quelque chose de plus profond que la tolérance, toujours marquée de faiblesse. Ce que je veux retenir ici, c’est que la plus forte pensée n’est pas immédiatement pacifique, comme au reste les oppositions de doctrine le font assez voir. Et ici encore il faut dire que c’est par la faiblesse que la guerre s’établit. Qui ne peut comprendre s’irrite. Et l’homme, dès qu’il s’instruit et dès qu’il construit en sa pensée, ne peut admettre l’homme. De là tant de hérissements et de timidités orgueilleuses. Essayons de comprendre que le haut de l’homme n’est pas moins dangereux pour la paix que le bas. Je crois même qu’en toute ambition, c’est la prétention d’esprit qui mène tout le reste à la bataille. Si les hommes n’avaient que des besoins, je les craindrais moins.

Voici donc, il me semble, un beau chemin pour les méditations d’un homme jeune et avide de penser. Car c’est une grave méprise, et de grande conséquence si, par ces mouvements de guerre qui sont des moments inévitables, il se croyait rappelé à l’esclavage et aux mouvements animaux, jusqu’à leur abandonner la conduite et la solution de la guerre. Cet abandon de soi est en beaucoup et nous guette tous. Mais, tout au contraire, le mal de pensée ne se guérit que par la pensée. D’après cette vue donc, je prononcerais que c’est la pensée qui fait la guerre, par cette naïveté qui lui est propre qui fait que voulant l’Amitié Humaine, aussitôt elle la manque, et accuse d’autres causes que sa propre paresse et lâcheté. Au contraire, par victoire et foi, l’une portant l’autre, la pensée doit se reconnaître coupable ici, seule coupable, dès que, rencontrant de nouveau le moment du combat, elle n’ose point le surmonter et le dépasser par ses moyens propres. J’ai laissé quelque obscurité ici, je le crains ; mais je dis pourtant quelque chose qui, sous d’autres rapports, est assez clair pour chacun. Qui ne sait qu’il faut du courage pour aimer, dès que l’on pense ?