Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/201

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pression « prophète de malheur » a toute la force d’un pléonasme.

Peut-être le lecteur commence-t-il à apercevoir que l’attachement au fatalisme est le vrai mal en ce monde. Les effets matériels de la guerre ne m’ont jamais troublé jusqu’au fond ; je sais qu’il faut peu de chose pour tuer un homme, et que des forces, bien plus puissantes que nous, nous menacent sans cesse. J’accepte cette condition humaine ; cette planète à éruptions ne nous a rien promis. Le malheur est par là autour, mais non le mal. Le mal est dans cette colère contre celui qui veut aller à la source des maux humains. La fureur de ceux qui acceptent la guerre, et qui prennent cette acceptation comme un accomplissement, comme une perfection de leur destinée d’hommes, voilà ce qui m’épouvante. Il y en a qui ne craignent l’explosif qu’au moment où il frappe les yeux et les oreilles ; mais moi je crains cette poudre jaune. Ainsi cette volonté mauvaise qui ne frappe point, qui ne menace point, mais qui condamne, je la vois flamboyante et sanglante déjà, et trop punie. Sombre malédiction sur soi, déjà visible dans un enfant obstiné qui refuse le pardon. Mais l’enfance est flexible et oublieuse. L’homme mûr, jauni, aigri, irrité par tant de preuves qu’il a cherchées et voulues, déçu et content parce qu’il l’a tant de fois prédit, voilà l’ami difficile que je veux fléchir. Je lui demande de faire grâce à la jeunesse. Et je sais qu’il me devine et qu’il ne veut point faire grâce. Du plus loin qu’il me voit, il me dit non. Mais l’écrit convient mieux que la parole ; et cet homme sait lire. Au reste mon pouvoir expire aux frontières de son royaume. C’est lui le maître de l’heure ; et seulement un millier de ces spectateurs qui voudraient, dans leur fauteuil, consentir à eux-mêmes, quel avenir ! Non pas peut-être sans guerre, mais du moins sans le consentement de l’Esprit.

FIN