Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/28

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certain nous délivre aussitôt, en proposant des actions réelles ; ou, pour dire autrement, le fait accompli a cela de bon qu’il est un appui solide ; on en peut partir ; au lieu que les décisions intérieures ont cela de remarquable qu’elles échappent, dès que l’on compte sur elles. De là un besoin de s’engager irrévocablement. C’est pourquoi, dans le moment même où la délibération est sans remède, la main se lève ; non pas malgré l’irrésolution, mais à cause de l’irrésolution. Remarquez que le refus ne décide rien, parce qu’on sait bien que la même question sera posée dix fois ; et la vieille politique militaire fait toujours cordialement entendre, selon ses pratiques connues, que l’on finira par forcer ceux qui ne veulent point consentir. Cette attente, sûre d’elle-même, est trop forte contre un cœur jeune.

Il se peut que ce mouvement décidé soit proprement viril. Balzac dit, en Béatrix, que les femmes supportent mieux l’irrésolution et l’attente ; dont la raison est sans doute dans la structure physique, moins musclée, moins violente en ses réactions sur elle-même, j’oserais dire moins thoracique. Du moins je suis bien sûr que le mâle de l’espèce, surtout jeune, est bâti comme je dis, et prompt à choisir son malheur. Mettez-en cent mille ensemble, et vous en verrez sortir le fait humain accompli, par quoi sont terminées toujours les délibérations des vieillards. De quoi les vieillards triomphent ; mais cette duplicité des politiques doit être jugée. Il y a des questions qu’il ne faut point poser à un homme de vingt ans.