Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/58

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On comprend sans peine, d’après cela, que l’action violente soit une espèce de soulagement dans le paroxysme de la passion. Là est le bonheur de se venger. Les imprécations, les souvenirs, les raisonnements n’en sont que des effets accessoires. Se venger, c’est faire une action attendue, annoncée par l’état du corps, et qui délivre les muscles de leur pénible travail de contracture contre eux-mêmes, qui étrangle la vie. Tout, en ces crises, est œuvre de force et seulement de force ; car les vicissitudes de la passion, que les idées suivent comme elles peuvent, dépendent seulement de la position du corps et des forces de chaque muscle, chacun violentant les autres autant qu’il peut ; chaos et éruption des forces mécaniques. D’où l’on voit que la Fatalité trouve ici une matière convenable, et la plus forte preuve, car le vif plaisir de la vengeance nous récompense aussitôt. Telle est en bref l’histoire d’un crime passionnel, et la guerre est réellement un crime passionnel. L’amour, la pitié, l’horreur, poussent avec la haine par ce chemin qu’elle ouvre. Cette ambiguïté des passions déchaînées est-ce qui étonne le plus dès que l’on entre dans cet immense sujet ; et c’est ce qui suspend aussitôt la guerre contre la guerre. Car toute violence est guerre. Et le pouvoir, par ses ruses, fait de toute guerre sa guerre. Dans le combat, ce qu’il y a de fureur contre les maîtres lointains et contre les féroces spectateurs, qui peut le savoir ? Le gladiateur croyait égorger César peut-être.