Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/78

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sous-directeurs, magistrats et policiers, tous portant les brillants insignes du pouvoir absolu. Qui n’a vu reparaître, sous ces dorures redoutables, quelque homme vieux, fatigué, oublié, l’œil vif, la taille redressée, les joues comme fardées par cette ivresse du pouvoir ? Quelqu’un, voyant rayonner et sautiller une de ces vieilles momies peintes, disait : « Il est sinistre. » Cette joie mal contenue dans l’universel malheur doit être considérée sans colère, car elle est naturelle. Tous les sentiments, même le deuil, même la peur, seront colorés de cette ivresse d’ambition ; et les idées aussi, ne l’oublions jamais. Qu’ils aient perdu des fils ou des gendres, qu’un noir chagrin soit caché en ces brillants tombeaux, c’est une raison encore pour que l’apparence soit adorée frénétiquement ; l’ambitieux sacrifie beaucoup et jusqu’à sa vie ; et toute passion fait joie et triomphe de ce qu’elle sacrifie.

Mais laissons ces vieilles poupées. Le chef au combat, ne le plaignez pas trop. Le péril immédiat est peu de chose pour une âme ambitieuse. Un sous-lieutenant est soudainement roi ; il fait tout plier, même la revendication juste ; et, comme les signes emportent les sentiments, surtout dans les paroxysmes, il est adoré, il est dieu. On peut jouer sa vie contre une telle destinée ; mais ce calcul n’est même point fait ; le bonheur d’être roi emplit toute la pensée. Osez estimer la puissance de ces sentiments dominateurs, en considérant que le risque diminue à mesure que le pouvoir augmente. L’élite aime la guerre ; je l’aperçois encore quand elle compte ses morts ; l’œil brille trop.