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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/122

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

ter par le sublime, comme Julien, qui voulait pourtant ne rien croire. « Monsieur de Lavalette, dit-il à son ami, était innocent ; sans le vouloir tu me fais penser à la différence. » Il est clair que Fouqué n’y pensait pas. Nous sommes hors du réel ? Je le crois bien. Je définis l’amitié telle qu’on la voudrait, et non pas les sentiments médiocres qui usurpent ce beau nom.

Revenons à la prose ; la prose nous serrera tout aussi bien. Essayons de formuler cet autre beau contrat : « Je suis ton ami ; mais fais en sorte de marcher droit. Tant que je t’approuverai, en toutes tes pensées comme en toutes tes actions, compte sur moi ; mais si tu t’écartes du sentier qui est à mes yeux celui de la vertu, je t’abandonnerai le premier, entends-tu ? Le premier ! » Voilà de gentilles promesses. Là-dessus l’ami si tendrement aimé pourrait bien demander une petite liste des choses défendues. L’amitié serait à débattre, comme location ou vente. Ce genre d’ami s’engage, en somme, à vous soutenir tant que vous n’aurez pas besoin d’appui. C’est assez ; je vois briller dans les yeux l’espoir, au moins, d’être fidèle malgré tout et contre tout. Sans ce beau mouvement, aussi ancien que l’homme, comment juger de ce qui importe, et de ce qui n’importe guère ?

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