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L’ESPRIT LIBRE ET L’ESPRIT JUGE

d’idées ; le commun des hommes, et même le commun des savants, est privé de cette connaissance et s’en console. Bref, il n’est pas besoin d’en savoir autant qu’un Pascal pour dire comme il pensait : « Voilà bien des connaissances que j’ai possédées ; j’en aperçois d’autres et encore d’autres ; en puis-je nommer une qui me rendra plus juste, plus sage, plus humain, ou seulement plus content ? »

Toute thèse est soutenable ; toute thèse a du vrai. J’en fis l’épreuve autrefois, aux Universités populaires, quand nous jurâmes de discuter de tout librement. Là-dessus quelque ouvrier, qui s’est instruit seul et à grand’peine, demande si l’on se moque, si le progrès se fera par des esprits crédules, si toute vérité prouvée ou expliquée n’est pas bonne, au contraire, à réveiller et armer le jugement. Le même homme, si j’entreprends de lui faire connaître seulement le mouvement apparent des astres, trouve que c’est bien long et demande si le midi vrai assurera la soupe et le loisir à tous ceux qui travaillent. D’où l’esprit fin vaincra l’esprit fort. Les prolétaires se défient des intellectuels, et cela se comprend.

Le raisonnement irrite et ruse. Il faut juger. Il n’y a peut-être pas une connaissance, je dis soutenue par ses vraies preuves, dont un homme ne puisse se passer. Mais qu’est-ce qu’un homme qui n’a jamais rien compris par les vraies preuves ? N’est-il pas comme un enfant devant le premier charlatan venu ou le premier discoureur ? Au rebours, je dis que toute connaissance est bonne pour