du même œil, c’est la faute des prophètes de malheur, qui sont les prophètes. Il ne s’agit plus de constater ; et toute l’erreur est à penser à ce qui n’est pas encore, et qu’on ne peut constater, d’après les excellentes méthodes de constater. Le prophète essaie de voir l’avenir, ce qui suppose que l’avenir est fait et irrévocable. Le prophète annonce, au mieux, ce qui sera si on laisse aller. C’est estimer qu’on ne peut rien ; c’est se démettre, et, comme on dit, lâcher la barre. Or c’est une faute, et c’est même la faute. Je vois deux choses à dire là-dessus, deux choses entre mille. La première est que cette pensée n’a pas d’objet, car l’avenir n’est pas encore, et n’est nullement objet. Voilà une idée immense et neuve. On se fait de grandes provisions de sagesse en examinant de telles idées, une bonne fois, quand on est de loisir. L’idée est celle-ci ; un train que l’on voit arriver au loin, c’est l’avenir qui vient vers nous. C’est par comparaison avec le train que nous jugeons naturellement que ce qui sera est déjà, et s’approche de nous d’instant en instant. La critique de cette idée est assez aride. Parce que, en toute rigueur, je dois prononcer que ce train que je vois arriver au loin, fait partie du présent et non pas de l’avenir. Je dois donc écarter une mauvaise métaphore ; c’est celle d’un avenir qui arrive ; comme si le politique s’étudie à prévoir telle guerre. Ici c’est notre esprit qui se conduit mal ; c’est notre esprit qui prétend construire l’avenir. À toutes ces constructions, il faut dire non. Et la difficulté de penser vient de ce qu’il faut bien se donner un objet, mais en même
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