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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/18

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

m’avait écouté » ; cette phrase, à mes yeux, condamne un homme. Ce qui n’est plus ne peut servir de départ réel pour une action ; cela est évident. Mais l’action est saine et raisonnable toujours ; c’est la pensée qui a besoin de règles ; c’est la pensée qui a besoin d’objets ; or ce qui n’est plus n’est pas un départ ni un appui pour les pensées ; non pas seulement parce qu’il ne sert point d’y penser, mais parce qu’on n’y peut penser. C’est alors que le discours extravague. Et je tiens que l’on ne peut raisonner que sur un fait présent, que l’on reçoit d’abord comme il est.

Les fous ne m’étonnent point par leurs absurdes raisonnements ; et même il n’est pas difficile de retrouver dans leurs divagations une logique passable, et qui vaut bien celle d’un disputeur. Ce qui fait le fou, c’est qu’il a perdu le contact avec la chose telle qu’elle est ; c’est qu’il ne sait plus la voir ; c’est qu’il ne veut pas la voir. Et, tout au contraire, il invente les faits d’après des raisonnements. Il se croit persécuté ; il vous prouve qu’il est victime d’une intrigue très bien menée ; mais tout est supposé d’après une idée qu’il se fait des hommes et des caractères. Il vous dit l’heure et le lieu d’une rencontre ; elle a eu lieu, pense-t-il, parce qu’il y a de bonnes et claires raisons pour qu’elle ait eu lieu. Vous retrouvez ici le point malade de toutes nos pensées. C’est toujours une faute de vouloir prouver l’existence par raisonnement, au lieu d’aller voir et toucher la chose existante. Et n’importe quel passionné, s’il tient un moment sous