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LX

LES TRISTES JEUX DE L’INTELLIGENCE

Le brillant Délégué de l’Intelligence, qui revient de l’Europe Centrale, nous disait sur le ton badin : « Ces nouveaux peuples attendent l’occasion de se battre ». Ces propos plaisent parce qu’ils terminent la réflexion ; mais j’ai juré qu’ils ne me plairaient plus. Je lui dis : « Comment savez-vous cela ? Comment peut-on jamais savoir cela ? Les agités parlent beaucoup et les pacifiques ne disent rien. Sans compter qu’il y a loin des paroles à l’idée véritable ; et celui qui parle, surtout s’il est jeune, tombe toujours à ce qui est formulé d’avance, comme justement vous faites. Et la guerre est formulée, au lieu que la paix ne l’est point ». Là-dessus le maître des Fiches voulut me traîner dans son repaire. « J’ai, dit-il, sur ces questions et sur d’autres, tous les documents connus ; tous les journaux et toutes les brochures, tous les mémoires, toutes les discussions et toutes les statistiques, ou tout au moins le relevé de leur gisement avec le sommaire du contenu. J’ai le pétrole et le porc salé ; j’ai le chemin de fer et la turbine ; j’ai le tonnage, le change et les salaires ; j’ai l’état religieux et l’état moral ; j’ai l’armement et le désarmement ; j’ai la police, la conspiration, l’assassinat et l’alcool ; j’ai le syndicat et j’ai la coopérative ; j’ai

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