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minerve ou de la sagesse

Sur ce point des religions, l’homme est presque insaisissable. Ainsi ce roi de Siam croyait vraisemblablement à des miracles de sa religion non moins étonnants que le changement de l’eau en une roche vitreuse. Si le Français lui avait conté un tel miracle comme ayant été fait autrefois par un puissant magicien, je soupçonne que le roi de Siam aurait retrouvé le fil de ses coutumes, ayant lui-même à citer bien d’autres miracles, comme d’une plante grandissant de son germe en une minute sous la robe d’un grand sorcier, ou d’un serpent lancé en l’air et qui reste en l’air comme un météore. Mais l’eau solide n’était point donnée comme miracle ; tout au contraire comme une chose commune et ordinaire en une certaine saison, une chose que chacun pouvait constater et explorer. Ce roi, donc, on ne l’invitait point à croire, mais plutôt à percevoir, et sans lui fournir d’objet. Peut-être avait-il tracé une frontière entre les pensées sans objet et les autres. Nul chasseur n’a suivi en chasseur la chasse fantastique ; c’est le soir, à la veillée, que le cerf s’envole. Et, bref, en tous pays, un homme qui est invité à constater ne croit plus rien. Un cheval boiteux est toujours difficile à vendre.

Pris dans un récit émouvant et entraînant, encore mieux dans un poème, le miracle passe. Rien n’est constaté ici ; rien n’est réel ; il faut croire tout ; c’est la règle du jeu. Mais remis au monde, pris comme une chose à constater, le miracle n’est plus miracle. Les vrais croyants glissent souvent à vouloir prouver que la résurrection du Christ était possible par