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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/227

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LXIV

LA PRIÈRE

Oui, sans doute, il faut prier ; et bien certainement les hommes ne prient pas assez souvent, et ne savent pas bien prier. Mais qu’est-ce que prier ? Vais-je chercher dans mes mobiles pensées, quand il s’agit de fixer et d’apaiser mes mobiles pensées ? Bien plutôt je veux considérer le corps humain dont la forme est comme une règle de nature, qui nous tient étroitement.

Dans une éruption volcanique, dans un naufrage, dans une longue chute du haut des airs, supposez que je sois un puissant masseur ou chirurgien, connaissant bien ce qui peut rompre le corps humain ou l’offenser et que je puisse modeler, pétrir, ramener enfin à la meilleure forme ces hommes qui fuient, qui menacent, qui grimacent, qui font tant d’inutiles mouvements et même souvent nuisibles ; comment les disposerais-je pour le malheur ? Ou bien dans quelque choc de véhicules, au moment où la ferraille est tordue autour d’eux, où ils sont roulés, projetés, lancés en l’air, heurtés, froissés, peut-être déchirés ; dans ce moment, moi le modeleur, comment les disposerais-je ? Ou bien encore lorsqu’ils vont nuire aux autres et à eux-mêmes par leur propre violence, qu’ils se roulent, se lancent, s’enchaînent et se déchaînent ?

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