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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/258

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LXXIV

ADAPTATION

L’insolation n’existe plus chez nous ; c’est toujours autant de gagné. Le même homme qui, par dessus un large chapeau, étalait encore une ombrelle, a livré son crâne aux feux du soleil, multipliés par la réverbération des roches et du sable ; d’où son crâne a mûri comme un marron d’Inde. D’autres ont rôti à bonheur leurs visages, leurs bras, leurs jambes. Tous contents, car c’était un jeu. Il semble que, sous le signe du jeu, l’homme forme une surface inviolable, sur quoi tout rebondit, comme le coup de poing rebondit sur le boxeur, pourvu que son imagination soit bien préparée.

Imagination, ce n’est pas peu ; et nous ne le croirons jamais assez. Imagination bien disposée, c’est défense aisée, c’est adaptation des muscles de surface et de tout l’intérieur ; c’est un régime élastique et actif, qui va au-devant du coup, qui s’apprête à en tirer profit. Toutefois, notre industrie ici ne va pas loin ; nous ne savons pas nous ranger en ordre de lutte et de victoire ; le détail de nos fibres, de nos canaux, de notre humeur ne nous est point connu. Nous ne savons pas tirer sur nos muscles comme sur des cordages et régler les voiles sur le vent, comme un navire ; mais nous recevons

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