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LE COURAGE

Par ce moyen je l’amènerais, je pense, à toujours espérer des choses. Car on n’espère jamais que de soi ; et tout homme exercé doit savoir que les choses ne nous sont ni favorables ni hostiles. Au vrai il n’est pas de projet, si simple qu’il soit, auquel les choses cessent jamais de faire obstacle. Les choses sont des obstacles. C’est pourquoi l’homme qui a conquis le gouvernement de soi-même n’est jamais étonné d’un échec. Ce que d’autres appellent mauvaise chance lui paraît la règle. Par exemple il sait que la facilité des affaires est un état qui ne peut durer. On le dira pessimiste ; mais, au vrai, c’est lui qui est l’optimiste. Car, dans les passages difficiles, il ne s’étonnera point des obstacles, et il redoublera de courage, sachant bien que son courage dépend de lui seul. On conviendra qu’il est trop facile d’être optimiste quand tout va bien. C’est au contraire quand tout va mal que le lutteur se reconnaît et se rassemble ; c’est alors qu’il a besoin de lui-même ; et, par le bonheur de ses expériences, il sait que cette ressource est toujours la seule. Ainsi il ne cherche point si l’on peut être optimiste, mais il sait qu’il faut l’être ; et que plus il est difficile de l’être, plus aussi il est nécessaire de l’être. Et telle est la partie la plus rare du courage. Les plus grands hommes sont sans doute ceux qui, quand tout va mal d’entrée, reconnaissent aussitôt l’ordinaire des choses et le vrai visage de la nature, et de cela même prennent courage au moment où l’homme naïf perdrait courage. Et ces invincibles sont les vrais optimistes.