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VIII

LA VRAIE ATTENTION

Lorsque l’homme de troupe tremble devant le capitaine, on ne peut pas dire qu’il manque d’attention ; on voudrait dire qu’il en a trop ; toujours est-il qu’il ne fait pas attention comme il faut. Et, s’il est vrai que l’oiseau soit fasciné par le serpent, l’oiseau non plus ne fait pas attention comme il faut. Les êtres faibles que l’on endort en fixant leur regard sur quelque point brillant, ne ménagent pas assez leur attention ; on pourrait dire que l’attention périt ici par un excès d’attention. Bref, il n’est pas facile de penser.

Tout être vivant fait continuellement attention à son propre contour. Cette frontière sensible où la douleur commence, où la puissance se termine, est naturellement ce qui intéresse. Il n’y a même point d’intérêt au monde qui ne commence par ce resserrement et cette garde autour de soi. Aussi l’adjudant dit bien : « Garde à vous ». Et l’orateur aussi, et le professeur de même, quand ils essaient de tonner à la manière de Jupiter. Mais il ne faut point dire alors que l’attention s’élève ; bien plutôt elle redescend jusqu’à une sorte de terreur qui cherche objet. Le candidat aussi cherche objet, et ne choisit point, considérant le sourcil du maître,

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