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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/38

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

bâillement, qui annoncent le sommeil, nous donnent ici une sorte de modèle. Mais le raisonnement peut seconder ces leçons de nature. Il faut comprendre ce que c’est qu’être couché ; c’est ne plus pouvoir tomber. Or souvent la tête, un bras, une main restent debout si l’on peut dire, soutenus par un effort qu’on ne sent point. Cette fausse position fatigue ; et, de plus, si le sommeil vient, cette partie qu’on a négligé de coucher tombera, ce qui réveille. Il importe donc que tout soit descendu au plus bas ; que tout soit étalé, étendu, on dirait presque répandu. Un sac de pommes jeté à terre prend naturellement cette position, où tous les travaux de la pesanteur sont faits. Un chien, et surtout un chat, la prend de même. L’homme, par cette vie debout qui est la sienne, ne se couche pas aisément. Je suppose qu’un masseur trouverait, dans l’homme qui se croit couché et qui ne peut dormir, des nœuds, des points de lutte, des muscles en boule ; solide, alors qu’on le voudrait fluide, autant qu’il est possible à ce sac de peau. Et cet heureux état terminerait toutes les pensées. Vous qui voulez dormir, ne refusez rien à la pesanteur ; laissez-vous doucement choir.

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