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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/43

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XI

NE PAS CROIRE CE QUI PLAÎT

Ce qui est aisé à croire ne vaut pas la peine de croire ; et c’est ici que le sceptique a raison. Croire au loup ce n’est pas difficile ; il suffit d’avoir peur ; et nul ne s’applique à avoir peur ; bien plutôt on voudrait s’empêcher d’avoir peur. Il n’est pas difficile non plus d’être jaloux, ni de croire d’après cela des choses en effet très croyables, mais qui, remarque le sceptique, ne sont pas prouvées pour cela. Croire le journal, ce n’est guère plus que le lire ; c’est encore plus facile quand ce qu’on me donne à croire est agréable, par exemple si mon adversaire politique est présenté comme menteur ou fripon ; toutefois, cette facilité à croire ne vaut pas le plus petit commencement de preuve. Et il arrive souvent qu’un mouvement de colère achève la prétendue preuve. Si je suis battu ou humilié dans une discussion, je suis jeté à croire bien plus volontiers que l’autre a tort. Et tout le mal des querelles vient de cette complaisance et même lâcheté à croire ce qui plaît. Par ce qui plaît, je n’entends pas seulement ce qui est agréable ; car, par exemple, il n’est pas agréable de croire que la guerre est proche ; mais il m’est agréable de croire cette annonce désagréable, si je vois que mon ennemi

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