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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/76

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

Mais qu’en résultera-t-il ? C’est qu’on se risquera à aller plus vite ; c’est qu’on lancera les trains les uns après les autres à plus courts intervalles, c’est qu’on gagnera aux voyageurs cinq ou dix minutes dont ils n’ont nullement besoin. Mais ils en seront fiers, et ils diront que le progrès n’est pas un vain mot.

Cette analyse de la peur ne va pas seulement à montrer que la prudence est rare et difficile ; mais elle va, cette analyse, à faire voir ce que c’est que raison. Notion perdue ; parce que l’on s’intéresse aisément à la mécanique de l’âme, où tout résulte de connexions habituelles qui sont l’effet de l’expérience. Ce modèle mécanique de l’homme n’a point de vérité. Il exclut aussi tout à fait l’esprit. En ce passage de la réflexion, c’est alors que le matérialisme prend tout son sens. Au vrai, il ne faut jamais se dresser soi-même comme on dresse son chien, par un nœud des habitudes et, au fond, des cheminements nerveux. Il n’y a de sagesse que par un recours contre le matérialisme et par un refus d’être mécanique. C’est ici, dans ces méditations familières, que l’homme apprend à croire en l’homme. C’est ici, dans ce petit coin de réflexion, que se fortifie et s’exerce notre liberté.

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