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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/78

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

gouverne de ce côté-là. Encore plus évidemment pour se tromper il n’est pas besoin d’effort ; tout nous trompe si nous ne nous éveillons pas. Il n’y a pas de jugement droit qui se fasse seul, et comme par favorable mécanique. Tout ce qui est mécanique, tout ce qu’on laisse aller, est faux et mauvais. Une phrase ne se fait point d’elle-même ; un beau vers ne se fait point de lui-même. On voudrait dire que l’inspiration est involontaire, et qu’il faut l’attendre ; mais c’est là une opinion de paresseux. Qu’y a-t-il de plus naturel qu’un beau chant ? Mais essayez de chanter sans faire attention.

Les crimes ne sont presque jamais voulus. En ceux que l’on nomme passionnels, il est clair que l’homme s’est laissé emporter. Toutes les passions, comme le nom l’indique, viennent de ce que l’on subit au lieu de se gouverner. Et, quant aux crimes de convoitise, ils résultent presque tous d’un genre d’ennui et de paresse. On ne citerait peut-être pas une existence réglée qui tourne soudain au vol, et aux violences qui suivent si aisément le vol. Mais on trouvera aisément au contraire, dans les antécédents, au moins des parties cachées de négligence et de paresse, une irrésolution, un ennui. C’est la nécessité ensuite qui prend le commandement, et la violence mécanique achève l’aventure.

Il y a des crimes de système, et qui ressemblent plus à des crimes volontaires. On a vu des fanatiques en tous les temps, et sans doute honorables à leurs propres yeux. Ces crimes sont la suite d’une idée, religion, justice, liberté. Il y a un fond d’es-

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