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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/82

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

cette idée que s’observer est autre chose que se prendre comme on est de premier mouvement. S’observer c’est se changer, se remettre en bon ordre, chercher ce qu’on veut, le trouver, l’approuver, le faire. La clémence d’Auguste en est un exemple théâtral, donc simplifié et en même temps grossi ; mais le mouvement est juste. Il monologue, et cela revient à dire : « Que suis-je ? » Suis-je un poltron qui soupçonne ? Certainement je suis cela si je me laisse aller. Suis-je une brute qui se venge ? Certainement c’est là qu’ira l’animal. Mais, comme disait Descartes, ce serait ridicule si, étant capable de dresser un chien, l’homme ne se dressait pas lui-même. Auguste finit donc par trouver le vrai Auguste, qui est celui qui veut, c’est-à-dire celui qui fait de tout le reste à peu près un homme. Et ce qu’il y a de vrai ici, c’est que le premier commencement de tout est toujours très mauvais, et que l’on se connaît très mal si on ne le change pas. Qu’est-ce qu’un musicien, sinon un homme qui s’est fait musicien ? Et croyez-vous qu’un jongleur à huit boules ait appris sans peine ? Ce n’est pas quand il laisse tomber la boule que je le connais, c’est quand il la rattrape. Et c’est quand le musicien chante juste que je connais le musicien.

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