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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/94

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XXVI

L’ÉGALITÉ PAR LES DIFFÉRENCES

Je ne pense pas volontiers au problème des races. Ce genre de pensée a quelque chose d’injurieux. Comme de décider si un homme est intelligent ou non, vaniteux ou non, courageux ou non. Cela tente, toutefois il y faut résister. Non que je me refuse à voir les différences ; au contraire il me semble que je les vois, mais bien plus près de moi, en mes semblables, en mes amis : et cela me conduit à aimer les différences, et à n’en point faire vertu ou vice. Un homme de six pieds allonge le bras et prend ce livre sur le plus haut rayon ; un petit homme n’en peut faire autant ; seulement il prend l’escabeau. Un petit homme a d’autres avantages ; il a moins de masse à porter ; il pèse moins sur un cheval ou sur un canot. À mesure que le génie inventeur l’emporte sur la puissance physique, tout s’égalise, sans que les différences s’effacent. L’intelligence a bien plus d’un chemin. L’un est myope, mais aussi il observe mieux. Un homme gros se décide moins promptement, mais aussi il montre plus de ruse. Certains hommes combinent supérieurement et sentent vulgairement ; d’autres sont nés poètes ou musiciens, et avec cela peu intelligents, comme on dit ; toutefois c’est dit trop sommairement. Entre un esprit

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