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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/98

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

pensées neuves en trois mots, honneur, amour, fidélité. On peut rebondir de là. L’honneur fut souvent sauvage, brutal, et politique pour finir. Mais l’idée, comme Hegel la reprend et la relève, est grande et forte ; c’est que la volonté libre seule vaut ; ce qui dessine un honneur premièrement solitaire, et sévère pour soi. D’où une autre société ; car l’honneur cherche son semblable, le veut reconnaître, et s’en faire reconnaître ; c’est vouloir tout autre homme libre et fier autant que soi ; cela annule tous pouvoirs et toute contrainte. Qui ne reconnaît ici notre égalité, tant moquée ? Les inégalités sont rabaissées au rang des nécessités inférieures. Un duc n’est qu’un valet d’ordre, et Pascal l’a bien vu. Je laisse à chacun de refaire d’après cela le tableau des valeurs, j’entends de le refaire en chaque action, par une pensée aussi souple que l’eau autour de la roche.

L’amour est éclairé par là ; il ne l’est que par là ; car rien n’est plus ambigu qu’amour, quand on dirait même charité, dès que la source virile ne jaillit plus. L’amour est cette force de foi qui suppose et devine, qui frappe à la forme humaine sans se lasser. Il n’y a rien à attendre de l’amour dès qu’il joue à rabaisser l’autre. Et c’est même une des fautes en profondeur. L’amour veut l’esclave libre et fier, contre l’esclave même ; et, bien mieux, cherche dans l’esclave son maître d’un moment ; car tout homme est inégal et par éclairs. Il faut donc extraire, de l’amour même, la partie clairvoyante et volontaire ; car ce qui est de nature dans l’amour ne nous relève jamais ; et de là on vient à ne se plus fier à

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