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LES PROPOS D’ALAIN

famille » ou sur les habitations à bon marché, traduisent ou traduiront aussi des nécessités, et des solutions de bon sens.

Aussi je crois que les querelles des Partis sont plus académiques que réelles. On peut le voir dans les discussions législatives. Chacun parle au nom de la raison commune, et non pas au nom d’un parti nombreux. De Mun et Jaurès s’entendent plus souvent qu’on ne croit. Bref, dans l’ordre législatif, je ne vois pas que la majorité fasse sentir sa pression ; c’est plutôt l’unanimité, qui exige des débats publics, un travail suivi et impartial, et la liberté pour toute opinion et pour toute critique. Le peuple veut des législateurs, et non des tyrans. Voilà pourquoi il est puéril de compter si exactement les voix ; cela laisse croire que le Parti le plus fort aura le droit d’être injuste. Système odieux.

CIX

Le Radicalisme n’est par lui-même ni socialiste, ni pacifiste, ni quoi que ce soit dans ce genre ; il ne prononce point sur les changements qui surviendront dans la propriété, dans le salaire, dans le droit national et international. Le radicalisme se développe dans un autre plan ; il considère seulement l’origine et la légitimité des puissances ; il va jusqu’aux racines comme son nom le dit ; il découvre sans ménagements ce que tous les théoriciens de politique ont pressenti ou deviné, ce qu’un Spinoza, ce qu’un Rousseau avait clairement vu, c’est que tout pouvoir vient du peuple, et que tout magistrat, s’il n’est usurpateur, représente le peuple, exerce ses pouvoirs par délégation, et doit des comptes. Cette idée, c’est la Révolution même ; elle définit les devoirs du citoyen comme sujet en même temps que ses droits comme souverain ; ou, si vous voulez, elle règle les passions de chacun par le bon sens de tous pris comme arbitre. C’est donc un système complet de politique à proprement parler, fondé sur l’égalité radicale, contre toutes les inégalités, contre toutes les tyrannies, contre tous les esclavages. Aussi bien contre le ministre qui veut abuser de son éloquence ou de sa puissance persuasive, que contre le citoyen qui veut abuser en quelque sorte de sa propre faiblesse, et se donner volontairement un maître. Et je ne vois rien de çhimérique dans cet effort continuel qui détruit à chaque instant un peu de monar-