Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES PROPOS D’ALAIN

en garda d’éminents, si l’on peut dire, à son service. Malgré tout le prestige de ses victoires, et la force populaire sur laquelle il s’appuyait, ce géant fut à peine capable de soutenir le combat contre les grands faiseurs d’affaires. Et l’on peut bien assurer que jamais les circonstances ne donneront une seconde fois à un homme tant de pouvoir avec tant de clairvoyance. Et lui-même fit de grandes fautes ; il en convient.

Il faut comprendre le jeu de ces forces, qui s’exercent toujours là-haut autour du pouvoir ; et que, à vouloir adorer, on risque trop. Servir, cela est beau. Servir en aveugle, ce n’est plus beau, car les forces de corruption agissent sans relâche, et l’on s’en fait le complice par le consentement d’esprit. L’intrigue pousse sans cesse vers le haut un bon nombre d’hommes sans probité ; c’est aussi nécessaire qu’une loi de physique ; ainsi, dès que l’on se laisse gouverner, on est mal gouverné. Il faut donc un effort perpétuel de discussion et de contrôle, joint à l’obéissance, sans quoi les Justes ne s’élèveront jamais. La justice exige que l’on se prive souvent de cette friandise, l’Admiration.

CXII

Il ne manque pas de gens qui ont été un peu étonnés de la fortune rapide du camarade Briand. À cela on peut répondre par la question : « Qui auriez-vous choisi ? » Le fait est que nous manquons d’hommes politiques.

Non pas d’hommes compétents, rompus aux affaires, et capables d’administrer sagement aux Travaux publics, au Commerce, et même aux Finances. Non. Nous manquons précisément d’Hommes Libres. Tous ces puissants administrateurs ne sont qu’administrateurs ; ils n’ont point figure de chefs. Ils dépendent de mille puissances, les uns des financiers, les autres, de la société polie, de leurs proches, de leurs amis, de ceux de leur femme. Ils sont pris dans des fils d’or. L’un est un avocat d’affaires ; l’autre est, de plus, académicien. Ils ne représentent qu’une caste. Leur volonté est la volonté d’une caste. Le peuple veut Un Homme Libre.

Aux beaux temps du petit père Combes, quelque bavard me racontait ce qu’il avait vu à l’Élysée un jour de réception. Il y avait