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LES PROPOS D’ALAIN

de guerre n’y répondent aujourd’hui qu’en disant : « Des hommes, encore des hommes. » Mais enfin nous n’en aurons jamais assez pour pouvoir espérer de nous défendre par ce moyen. À quoi ils répondent enfin : « Il faut pourtant l’essayer, il faut tenter la chance ; car si nous résistons en reculant, avec l’intention de préparer une concentration de toutes nos forces à l’intérieur suivie d’une vigoureuse attaque, l’opinion publique s’affolera. Vous connaissez les Français ; enthousiastes au commencement, bientôt désespérés, etc. Quels tristes et faibles lieux communs ! Sommes-nous des enfants qui jouent au soldat ? Sommes-nous un peuple mineur, à qui il faut des victoires tout de suite ?

Et puis, enfin, ces victoires des premiers jours sont-elles possibles ? Et si une défaite est probable avec un homme contre trois, pourquoi aller la chercher ? Que deviendrons-nous ensuite, quand le meilleur de nos troupes aura été sacrifié follement ? Dans ces conditions il est sage, il est viril d’examiner si une retraite voulue d’abord, ayant pour effet d’attirer l’ennemi loin de son territoire, et même jusque sous les forts de Paris, n’aura pas pour effet d’abord de rompre le premier élan des ennemis, ensuite de disperser leurs forces, enfin de permettre aux forces alliées de faire sentir leur action. Les forces étant alors égalisées, et l’ennemi prenant nécessairement une formation étalée et vulnérable, alors nous attaquons. Tactique qui était bien près de réussir même après nos désastres, et où nous pourrions employer cette fois nos forces intactes. Et si l’esprit public y résiste, il faut l’y préparer. D’autant que nous n’avons réellement pas le choix.

CXXXIII

Lisons Corneille, c’est le moment. Et j’ai ouvert le Cid. Seulement, un livre, ce n’est que du noir sur du blanc si l’imagination ne travaille ; et l’imagination, une fois lâchée, prend quelquefois des chemins imprévus.

La mienne fut d’abord très docile ; elle me représenta des chapeaux à plumes, de somptueux manteaux, et l’intérieur d’un palais. Cela n’allait pas tout seul, parce que je n’ai jamais vécu dans les palais ni