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LES PROPOS D’ALAIN

ces fruits de la femme, puissants contre la peur, contre l’amour, contre l’orgueil, contre la flatterie ? Comment l’esprit attentif s’est-il élevé du ventre aux yeux ? Pourquoi ces regards vers les étoiles, maintenant ? Pourquoi ces milliers de héros que l’on voit dans les rues, maîtres de leurs désirs et de leurs colères, attentifs à un enfant égaré, à un chien qui pleure, à un vieil aveugle qui tend son chapeau ? J’aime à voir les yeux humains, toujours tirés hors d’eux-mêmes par quelque spectacle. J’aime à voir l’animal humain tendant le cou, dès qu’on explique la moindre chose. Ami, si cela te semble un peu trop dur d’apprendre à lire, pense à ton ancêtre, qui a inventé l’écriture.

CLXVII

Le Congrès des Religions a flétri le matérialisme. Une bonne définition aurait mieux valu. Car il y a un Spiritualisme sans discipline qui n’est pas sain non plus. « Tout est plein de dieux », disait un ancien. Quand Pascal écrit : « le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », c’est tout à fait la même pensée, car cela veut dire : « les Dieux ne répondent point ». Lucrèce louait son maître Épicure, pour avoir apporté aux hommes cette idée libératrice qu’il n’y a point de Volontés cachées dans la tempête et le tonnerre, et qu’il n’y a pas plus de mystère dans une éclipse que dans mon ombre par terre. Idée nette, virile, bienfaisante, du mécanisme des phénomènes, car tous les Dieux sont souillés de sang humain ; et ce n’étaient que les plus redoutables passions, sauvagement adorées. La peur faisait les sorciers, et puis les brûlait. La colère inventait quelque dieu vengeur, et puis faisait la guerre en son nom. Le fou est ainsi ; ses passions font preuve ; il leur donne la forme d’objet, et il agit d’après cela. De même toujours, dans cette sombre histoire des superstitions, chacun fit des dieux selon ses passions et se fit gloire de leur obéir. Sincèrement, et c’était bien là le pis. Quand nos passions prennent figure de vérités, de réalités dans le monde, d’oracles et de volontés surhumaines dans le monde, tout est dit. Le fanatisme est le plus redoutable des maux humains.

C’était donc une grande idée, la plus grande et la plus féconde peut-être, que celle des atomes dansants, petits corps sans pensée