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LES PROPOS D’ALAIN

rire les enfants ! Et toujours les vérités les plus évidentes, et qui se tiennent debout par leurs propres forces, sont fondées sur des affirmations d’ordre historique ou plutôt anecdotique, invraisemblables et invérifiables. On peut dire alors que si la conclusion tient, c’est bien malgré les preuves.

CLXXII

Je connais trois pamphlets contre la religion révélée. Le plus ancien, c’est un dialogue de Platon qui a pour titre « Euthyphron » ; puis le traité Théologico-Politique de Spinoza ; et enfin la Lettre à l’archevêque de Paris, de Jean-Jacques Rousseau. Ces trois auteurs sont religieux chacun à leur manière, mais s’entendent fort bien pour frapper les religions au bon endroit. Et voici l’argument.

Chaque homme trouve en lui-même une puissance de connaître que l’on appelle Jugement, Bon Sens, Raison, ou comme on voudra. Or, s’il y a quelque chose de divin au monde, comment peut-on croire qu’il se manifestera ici plutôt que là, par livres et prodiges, au lieu d’apparaître comme une notion évidente dans la conscience de chacun ? Cela n’est pas vraisemblable. Quoi ? Un homme qui n’a pas lu les livres saints, et qui a réfléchi noblement pendant une longue vie, en saurait moins qu’un sous-diacre qui a épelé péniblement l’Écriture ? Dieu se manifesterait à ceux qui lisent plutôt qu’à ceux qui pensent ? Comment croire une chose pareille, si l’on admet l’existence d’un Dieu juste ?

Mais bien plus. La thèse de la révélation par le livre ou le miracle n’est pas seulement invraisemblable ; elle est absurde. Qu’est-ce qu’un livre ? C’est du noir sur du blanc. Qu’est-ce qu’un miracle ? Ce n’est qu’un rêve comme tous les rêves. Il faut lire le livre et lire le miracle, j’entends comprendre ce que cela signifie. Et comment le comprendre, sinon par le jugement naturel, ou, comme on dit encore, par la lumière intérieure ? De sorte que c’est toujours par la raison que chacun connaîtra Dieu, s’il le connaît.

Là-dessus le curé argumente. Il y a, dit-il, des esprits corrompus, qui n’arriveront pas à comprendre le Livre, ni le Miracle, si quelque Inspiré ou Prophète ne le leur explique. Bon. Mais comment l’Inspiré