Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES PROPOS D’ALAIN

et se dilate ; cela fait comme un coin de glace qui sépare la feuille de la branche. »

« Voilà, lui dis-je, plus de parce que que de pourquoi ; chose rare. Mais, puisque vous êtes en train, vieil ours, dites-moi pourquoi ce bel automne a pris figure d’hiver si vite ? »

« Oh ! oh ! dit-il ; cela vient de trop loin pour que j’y voie clair tout à fait. Pourtant je me rappelle qu’en voyant ce ciel clair d’octobre, j’ai sorti ma fourrure. Je me disais : la vieille terre a quitté ses nuages pour mieux se chauffer au soleil ; elle ne les remet point la nuit ; et c’est par les nuits claires que la terre se refroidit. Cela est sans inconvénient quand les jours sont longs et les nuits courtes ; mais maintenant les jours sont courts et les nuits longues ; la terre perd plus qu’elle ne gagne, à se promener ainsi sans nuages. Il faut donc payer maintenant les beaux jours d’octobre, ajouta-t-il en battant la semelle. »

XII

J’ai observé le trou du Fourmi-lion. Je ne le connaissais que par les livres, et je ne m’en faisais point d’idée ; à vrai dire je n’y croyais point. Mais quelqu’un me fit voir dans le sable sec de petits entonnoirs comme en pourrait faire la pointe d’un œuf. Une fourmi poussée dans l’un d’eux fait d’abord un petit éboulement qui l’entraîne vers le fond ; quelquefois elle est prise aussitôt par le milieu du corps et peu à peu entraînée dans le sable ; mais le plus souvent elle tente de remonter, toujours entraînant de petites avalanches de sable, surtout quand elle arrive au bord du cratère qui forme une crête tout à fait fragile. C’est alors que ce petit volcan lance comme des éruptions de sable qui partent du fond, sans qu’on aperçoive rien qui les explique. Cette pluie de cailloux minuscules retombe ici ou là dans le cirque, et une fois ou l’autre sur la fourmi, qui presque toujours retombe et est finalement enlisée, comme si cette force qui la bombardait tout à l’heure l’entraînait maintenant sous la terre. Mais j’ai vu des cas où la petite éruption de sable lançait au contraire la fourmi dehors. On dit, mais je ne l’ai pas vu, que le drame se termine toujours ainsi : il vient un temps où la carcasse vide de la fourmi est vivement rejetée au dehors en même temps que le sable est lancé et retombe ; et toutes