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Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/124

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XXXVIII

L’ENNUI

Quand un homme n’a plus rien à construire ou à détruire, il est très malheureux. Les femmes, j’entends celles qui sont occupées à chiffonner et à pouponner, ne comprendront sans doute jamais bien pourquoi les hommes vont au café et jouent aux cartes. Vivre avec soi et méditer sur soi, cela ne vaut rien.

Dans l’admirable Wilhelm Meister de Goethe, il y a une « Société de Renoncement » dont les membres ne doivent jamais penser ni à l’avenir ni au passé. Cette règle, autant qu’on peut la suivre, est très bonne. Mais, pour qu’on puisse la suivre, il faut que les mains et les yeux soient occupés. Percevoir et agir, voilà les vrais remèdes. Au contraire, si l’on tourne ses pouces, on tombera bientôt dans la crainte et dans le regret. La pensée est une espèce de jeu qui n’est pas toujours très sain. Communément on tourne sans avancer. C’est pourquoi le grand Jean-Jacques a écrit : « L’homme qui médite est un animal dépravé. »

La nécessité nous tire de là, presque toujours. Nous avons presque tous un métier à faire, et c’est