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Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/195

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sous LA PLUIE

à vous plaindre ainsi de la destinée, vous augmentez vos maux, vous vous enlevez d’avance tout espoir de rire, et votre estomac lui-même s’en trouve encore plus mal. Si vous aviez un ami, et s’il se plaignait amèrement de toutes choses, vous essaieriez sans doute de le calmer et de lui faire voir le monde sous un autre aspect. Pourquoi ne seriez-vous pas un précieux ami pour vous-même ? Mais oui, sérieusement, je dis qu’il faut s’aimer un peu et être bon avec soi. Car tout dépend souvent d’une première attitude que l’on prend. Un auteur ancien a dit que tout événement a deux anses, et qu’il n’est pas sage de choisir pour le porter celle qui blesse la main. Le commun langage a toujours nommé philosophes ceux qui choisissent en toute occasion le meilleur discours et le plus tonique ; c’est viser au centre. Il s’agit donc de plaider pour soi, non contre soi. Nous sommes tous si bons plaideurs, et si entraînants, que nous saurons bien trouver des raisons d’être contents, si nous prenons ce chemin-là. J’ai souvent observé que c’est par inadvertance, et un peu aussi par politesse, que les hommes se plaignent de leur métier. Si on les incline à parler de ce qu’ils font et de ce qu’ils inventent, non de ce qu’ils subissent, les voilà poètes, et joyeux poètes.

Voici une petite pluie ; vous êtes dans la rue, vous ouvrez votre parapluie ; c’est assez. À quoi bon dire : « Encore cette sale pluie ! » ; cela ne leur fait rien du tout aux gouttes d’eau, ni au nuage, ni au vent. Pourquoi ne dites-vous pas aussi bien : « Oh ! la bonne petite pluie ! » Je vous entends, cela ne fera rien du tout aux gouttes d’eau ; c’est vrai ; mais cela vous sera bon à vous ; tout votre corps se secouera