cette question qui paraît si simple : « À quoi pensez-vous ? » Cette circulation des idées conduit souvent à une certaine futilité et puérilité. Elle est pourtant la santé même de l’esprit. Et, si j’avais à choisir, j’aimerais mieux être insouciant que maniaque.
Je ne sais si ceux qui instruisent les enfants et les hommes ont assez réfléchi là-dessus. À les entendre, on croirait que le principal est d’avoir des idées bien cimentées et bien lourdes à remuer. À quoi ils nous habituent de bonne heure par leurs ridicules exercices de mémoire ; et nous traînons toute notre vie des chapelets de mauvais vers et de maximes creuses qui nous font buter à chaque pas. Dans la suite, on nous enferme dans quelque spécialité à litanies. On nous dresse à remâcher. Et cela devient dangereux par l’âge, dès que nos humeurs donnent de l’amertume à nos pensées. Nous récitons mentalement notre tristesse, comme nous récitons la géographie en vers.
Qu’on dénoue les esprits, au contraire. Je donnerais comme règle d’hygiène : « N’aie jamais deux fois la même pensée. » À quoi l’hypocondriaque dira : « Je n’y peux rien ; c’est que mon cerveau est fait ainsi et arrosé de sang plus ou moins. » C’est clair. Mais nous connaissons justement une méthode pour masser le cerveau ; il ne faut que changer d’idées ; et ce n’est pas difficile, si l’on y est entraîné. Il y a deux pratiques infaillibles pour purger la cervelle. L’une consiste à regarder autour de soi et à se donner comme une douche de spectacles ; il n’en manque jamais. L’autre consiste à remonter des effets aux causes, ce qui est un moyen assuré de chasser les images noires. Car la chaîne des causes