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du mécanisme

ennemi. Le vrai physicien, au contraire, enlève toute apparence de liberté aux forces de la nature, et, en face du mécanisme, délivre son esprit du même coup.

Assurément, il est difficile et même pénible, car les passions s’y jettent, c’est leur guerre, de refuser de l’esprit à ces feuilles d’arbre, qui trouvent chacune leur forme. Il est difficile de vouloir, bien avant de savoir, que ces différences ne soient pourtant, dans le germe, que forme et disposition des éléments, lesquels, dans l’air et la lumière, donneront à ces stalactites de carbone, ici, la forme lierre et là, la forme platane, de la même manière que naissent les cristaux arborescents dans une solution concentrée. Il est facile, au contraire, de se coucher et de dormir, et d’imaginer quelque architecte invisible caché dans le germe et qui réalise peu à peu son plan préféré. Ce sont les mêmes rêveurs qui s’abandonnent au miracle des médiums et des spirites, disant que nous ne savons pas tout, et inventant des forces sans mesure et des esprits cachés dans les tables. Mais il faut que l’esprit triomphe des esprits. Lucrèce y a perdu son âme, mais Descartes non. Attention là.