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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/15

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INTRODUCTION

Le mot Philosophie, pris dans son sens le plus vulgaire, enferme l’essentiel de la notion. C’est, aux yeux de chacun, une évaluation exacte des biens et des maux ayant pour effet de régler les désirs, les ambitions, les craintes et les regrets. Cette évaluation enferme une connaissance des choses, par exemple s’il s’agit de vaincre une superstition ridicule ou un vain présage ; elle enferme aussi une connaissance des passions elles-mêmes et un art de les modérer. Il ne manque rien à cette esquisse de la connaissance philosophique. L’on voit qu’elle vise toujours à la doctrine Éthique ou Morale, et aussi qu’elle se fonde sur le jugement de chacun, sans autre secours que les conseils des sages. Cela n’enferme pas que le philosophe sache beaucoup, car un juste sentiment des difficultés et le recensement exact de ce que nous ignorons peut être un moyen de sagesse ; mais cela enferme que le philosophe sache bien ce qu’il sait, et par son propre effort. Toute sa force est dans un ferme jugement, contre la mort, contre la maladie, contre un rêve, contre une déception. Cette notion de la philosophie est familière à tous et elle suffit.

Si on la développe, on aperçoit un champ immense et plein de broussailles, c’est la connaissance des passions et de leurs causes. Et ces causes sont de deux espèces : il y a des causes mécaniques contre lesquelles nous ne pouvons pas beaucoup, quoique leur connaissance exacte soit de nature à nous délivrer déjà, comme nous verrons ; il y a des causes d’ordre moral, qui sont des erreurs d’interprétation, comme si, par exemple, entendant un bruit réel, j’éprouve une peur sans mesure et je crois que les voleurs sont dans la maison. Et ces fausses idées ne peuvent être redressées que par une connaissance plus exacte des choses