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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/173

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DE DIEU, DE L’ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ

CHAPITRE VIII

DE DIEU, DE L’ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ


Je ne sais quel philosophe anglais, d’esprit vigoureux et libre certes, a dit que l’idée de Dieu est la plus utile aux tyrans. C’est une raison d’être athée par précaution, car la liberté marche la première. Et si je crois en Dieu, j’ose dire que ce sera toujours avec prudence. C’est trop de deux juges ; il n’en faut qu’un. Ainsi jamais je ne jugerai du vrai ni du juste d’après Dieu ; mais au contraire je jugerai Dieu d’après ce que je sais du vrai et du juste. Et c’est une règle de prudence contre le dieu des gouvernements. Si vous échappez en disant que Dieu est en effet tout ce qui est vrai et juste, je veux pourtant encore que ce qui fait soit supérieur à ce qui est. Cela revient à dire que rien de ce qui est n’est dieu. Il faut que je tienne l’objet ou qu’il me tienne. Et si la perfection est adorable, que dirons-nous de celui qui la juge ? Il y a mieux encore pourtant, c’est celui qui la fait. Ma foi j’adore l’homme juste, courageux et bon dès qu’il se montre. Là-dessus, je ne crains ni dieu, ni diable.

Mais peut-être Dieu est-il l’objet propre du sentiment, comme le Libre Arbitre l’est de la foi. Car je sens Dieu en tous mes actes, et mes frères les hommes le sentent comme moi ; c’est pourquoi ils se pressent tant d’adorer ce qu’ils ne comprennent pas. Et, sans parler des cultes de fantaisie, qui résultent de perceptions fausses, il n’est guère d’homme qui ait quelque idée triomphante sans qu’il en fasse honneur à son Maître. Ce mouvement est beau ; ce n’est qu’une manière de se sauver des petites causes, qui rendent lâche et paresseux.

Servir et honorer Dieu, cela sonne bien à l’égard du troupeau animal