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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/221

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du rire

Mais il y a de l’esprit, au sens le plus profond, dans le sourire même ; car c’est le dernier effet de la sottise, et le plus caché, de s’étonner beaucoup de ce que l’on a soi-même circonscrit et mis à distance de vue ; l’idolâtrie est toute dans cette peur ; au lieu que le Dieu sourit à son image. Ce mouvement achève la forme et la détache ; ainsi toute grandeur s’achève en aisance, avec un surcroît de force prête. Le trait, c’est la récompense.

Le rire est convulsif ; en quoi il ressemble au sanglot ; mais l’allure de la pensée y est tout opposée ; car dans le sanglot c’est la pensée qui tend, au lieu que dans le rire elle détend ; seulement, si la surprise a été forte, la détente se fait en désordre, avec des retours de surprise. N’oublions pas ces secousses des épaules qui sont le mouvement du rire. L’effet naturel de la surprise est cette préparation soudaine qui gonfle la poitrine et élève les épaules. Si le jugement méprise, les épaules retombent aussitôt. Le haussement d’épaules est comme un rire élémentaire. Pour que le rire secoue les épaules, il faut donc une apparence d’importance qui frappe malgré tout, de sorte que l’on ne puisse s’empêcher, rassuré, de s’inquiéter, mais aussi qu’on ne manque pas, inquiété de se rassurer. L’art de faire rire est de maintenir cette apparence, mais sans aucun doute pour le jugement. Le ridicule est dans une majesté bien imitée, mais qui ne peut tromper. C’est pourquoi on peut rire du terrible, si l’on se met au-dessus, ou de l’horrible, ou du tendre, enfin de tout. Mais s’il n’y a point une apparence de théâtre, j’entends parfaitement expressive, il n’y aura point de rire. Au reste on peut rire et surtout sourire volontairement ; et comme ces mouvements sont les plus puissants contre les passions, je dirais même que le sourire est la plus haute marque du vouloir, et, comme on l’a presque dit, le propre de la raison.

Il y a pourtant dans le rire convulsif quelque chose de mécanique, comme on sait. Il faut croire qu’une détente brusque émeut encore d’autres muscles, et va souvent jusqu’à une autre contracture qui ne peut durer, et dont on se repose par un mouvement inverse, sans pouvoir