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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/82

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l’expérience méthodique

ouvrière, qui n’observe que ce qu’elle fait. Méthode sûre, qui domine la physique des modernes, et en un sens l’écrase. Car ce n’est plus que la chose qui est mise ici à la question. Et que peut-elle répondre ? Nier seulement, comme les auteurs l’ont bien vu. Réfuter seulement. Les machines, levier, poulie, roue, plan incliné, étaient toutes connues quand les principes de la mécanique étaient encore profondément cachés. C’est pour cette raison peut-être que Platon veut appeler serviles tous les métiers manuels. Il est assez clair que, par une pratique victorieuse, les idées sont bientôt mises au rang des outils, comme l’histoire de la télégraphie sans fil le fait bien voir. Et donc il faut réagir contre cette idée trop aisément admise que l’expérimentation est la reine des méthodes. Il faut seulement faire la part des œuvres et des outils dans la recherche expérimentale. Mais il faut aussi que l’outil et la main s’arrêtent et que l’esprit interroge la Nature déliée.

Ainsi est-on ramené à l’idée de l’Observation pure et simple, qui n’a trouvé d’abord à s’exercer que sur les spectacles du ciel, parce que l’homme n’y peut rien changer. C’est là que l’homme a appris à former par méditation et interrogation muette l’idée même de la chose. Non sans volonté, non sans obstination, non sans un sentiment juste, c’est que la chose n’y pouvait rien de plus, et que la vérité de la chose était entièrement à faire, et par décret. Celui qui inventa la sphère céleste, le pôle et le méridien ne changea rien dans le monde, mais il en fit déjà apparaître l’ordre et les lois. Serviteur en un sens, dompteur en un sens. Tel est le double mouvement de Thalès immobile.