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IMITATIONS, VARIATIONS, ORNEMENTS

est proprement son miroir. Il faut reconnaître une parenté entre les sons mécaniques de l’orgue et cette architecture sonore, comme on l’a appelée. Le monde des musiciens reste partagé entre deux méthodes, celle qui invente sous la loi du temps, d’après les promesses des sons, et celle qui, disposant du temps sous la forme de l’espace le remplit en tâtonnant d’après les règles de l’imitation, de la variation, et de l’harmonie. En ces belles discussions, qui occupent noblement le temps du repos, on pourra prendre comme un avertissement l’idée qui circule en tous ces chapitres, à savoir que les arts, dans leur perfection, se distinguent et même s’opposent, par ces analogies profondes qui rendent toute comparaison impossible. Disons, contre d’ambitieuses métaphores, que les constructions d’après un plan préalable sont également étrangères à la vraie musique et à la vraie architecture.

En cela la musique ditfère profondément du langage parlé et s’oppose directement au langage des passions. C’est le propre des discours passionnés de changer par leur propre force ; car l’imagination s’échauffe, la gorge se contracte, la colère monte. À quoi s’oppose déjà le sage discours de celui qui cherche, et qui tourne autour du même objet, corrigeant l’expression, retouchant, expliquant, mais surtout la poésie, par son rythme fermement maintenu, et même par ses refrains périodiques, d’autant plus nécessaires que les passions sont plus près de vaincre. Mais la musique, outre le rythme et les refrains, se répète attentivement et ingénieusement dans tout ce qu’elle dit ; aussi ose-t-elle plus et s’approche-t-elle plus de la tristesse et de la colère, par ce remède qu’elle y apporte en même temps ; c’est pourquoi l’imitation s’y montre d’autant plus stricte que le mouvement et les changements d’intensité risquent plus de jeter l’alarme ; c’est ainsi qu’elle occupe les passions, qu’elle les entraîne, et, par un paroxysme réglé d’avance, même quant à la durée, les ramène à un repos délié.