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DES GENRES MUSICAUX

petites devant le jugement. On s’est moqué de ces métaphores, qui viennent à dire que les sons en montant par degrés nous élèvent ; on peut rire aussi d’une doctrine qui met le ciel des élus au-dessus de nos têtes ; mais la métaphore, comme il arrive souvent, est juste par d’autres causes ; car il est assez clair que le chanteur ne parvient à parcourir sans accident une phrase qui monte sans y mettre toute sa pensée, et sans rejeter aussi toute vanité et toute crainte, ce qui le rapproche du ciel des élus, sans aucune métaphore. Cette pitié est sans objet, j’en conviens ; toutefois, par ce chemin, l’élégiaque nous conduit à pardonner à l’ordre des choses : et il n’y a peut-être pas autre chose dans le sentiment que l’on nomme amour de Dieu. Mais ce n’est pas ici un traité de théologie.

Dans le drame musical, presque tout est héroïque, élégiaque, ou religieux. Ce qui est proprement dramatique, c’est le dialogue qui fait naître et développe les passions ; et la musique dramatique est celle qui imite les accents et le mouvement du dialogue passionné ; ce n’est donc qu’une tragédie encore mieux réglée à moins que les acteurs, et même les auteurs ne tombent dans la frénésie, ce qui exclut toute musique. Faut-il en dire autant de la musique bouffonne ? Peut-être la gaieté en mouvement permet-elle toujours un rythme régulier, quoique vif, qui la tempère, et la maintient dans la décence. En outre la musique se prête bien à la parodie ; mais le plaisir est alors de même nature que celui que l’on prend à la comédie, et qui n’est pas aisé à expliquer.

Si la musique a pour objet de ramener l’esprit et le corps à l’équilibre en même temps, la pure musique se trouverait dans ce genre de compositions qu’il faut appeler tempéré ou équilibré comme sont la sonate, le quatuor, la symphonie, où le musicien éveille et modère toutes les passions, selon l’ordre vrai des genres. Ainsi le commencement tient de l’héroïque ; l’élégiaque est au milieu, et le final, dans les belles œuvres, a toujours quelque chose du contemplatif.