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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

die peigne mieux les mœurs et la société en un moment, que la tragédie ne peut le faire. La grande comédie est comme aérienne ; toute sa vérité est d’esprit, non de corps et de mots, non d’actions et de costume. On ne remarque pas assez que la grande comédie est dans la réplique seulement, et se passe même de ce petit nombre d’actions dont la tragédie permet du moins le récit. Les actions comiques sont des gestes seulement et ne veulent jamais tromper personne ; aussi personne ne plaindra Géronte dans son sac, et bâtonné par Scapin, ni le Médecin malgré lui, pas plus qu’on ne plaint le bouffon de cirque des faux soufflets qu’il reçoit.

L’art traditionnel des bouffons offre ici des précautions raffinées, comme d’avoir adopté les costumes symboliques de Pierrot, d’Arlequin, de Scapin et de Scaramouche, ainsi que les peintures sur le visage, qui sont pour avertir que le vrai homme, esprit en épreuve et enchaîné, n’est point du tout là. Une comédie plus travaillée, comme celle de Molière, a aussi ses costumes et ses grimaces peintes. Le trait le plus frappant d’Argan, de Purgon, de Sganarelle, de M. Jourdain et de M. Dimanche, est qu’ils ne ressemblent à personne ; ce sont des passions sans le jugement, des passions telles qu’elles seraient chez le sage, quand le jugement s’en retire tout à fait, et les considère comme des mouvements de l’animal, revêtus de ce qu’il y a d’animal seulement dans la forme humaine ; et telle est la matière de la comédie. La forme humaine n’y revient que par l’importance. Ainsi la passion garde toute sa jeunesse, et se développe sans vieillir. Le premier degré du sérieux, dans l’Avare, ou dans le Bourgeois, ou dans le Malade, ferait aussitôt un drame ; car, par exemple, un homme qui se croit malade, et qui sait par là qu’il le sera, et qu’il l’est, n’a rien de risible ; tout le tragique y serait ramassé au contraire. Et la puissance réelle d’un médecin, à laquelle encore il veut croire, serait plutôt effrayante. Mais laissez la première idée de ces choses, qui n’est que mécanique, se développer