Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

grand secret que de compter sur la jeunesse, et c’est le moyen de la conserver ; au lieu que les amoureux de la comédie moyenne n’ont qu’un plat avenir, et un amour rentier.

Encore bien mieux ces passions sans masque et cette importance vide, ces portraits enfin de nous-mêmes tels que nous pourrions être, tels que nous serions un petit moment si nous ne sauvions comme par un recul notre liberté jeune, ces portraits nous rassurent et nous délivrent, par ce rire qui nous rend à nous-mêmes, entiers, neufs, renouvelés. On a dit que les avares ne vont pas au théâtre ; mais aussi il n’y a point d’avares selon la comédie ; seulement des mouvements, des raisonnements, des éclairs de l’avarice en tous. Et de même la folie amoureuse, qui veut l’amour par contrainte et précautions, est en tous et se développe en tous autant qu’ils y cèdent, surtout autant qu’ils la couvrent d’un vêtement raisonnable. L’École des Femmes n’est point pour instruire quelque Arnolphe ; un fou de ce modèle n’est pas plus vraisemblable que ne sont tous ces tours de valets toujours à point derrière les portes. Mais ces jeux bouffons expriment pourtant la vérité la plus profonde, j’entends que les passions sont seulement risibles, dès que l’esprit les regarde. Car que veut le jaloux ? Qu’espère-t-il ? De même il n’existe point de médecins de Molière ; mais toute science, surtout utile et respectée, s’appuie toujours un peu sur le respect et sur les insignes, toujours assez, toujours trop. C’est pourquoi le plus grand médecin rira ici de lui-même, et se sauvera de lui-même par ce rire, éprouvant tout d’un coup sa puissance d’être, tout d’un coup et par ce seul regard. Car que me fait un respect volé ? Si pauvre que je sois, je n’en suis jamais réduit à me payer d’une importance à laquelle je ne crois pas. Heureux celui qui ne sait pas être important sans être ridicule ; mais ces bonnes chances ne vont pas sans un peu d’humeur. La comédie nous guérit mieux, sans la honte ; car la force du spectacle fait que personne ne pense au voisin. Ainsi le