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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

sentie et perçue, inséparable des mouvements corporels, et en même temps qu’une croyance vraisemblable, mais anticipée et finalement sans objet, s’est produite ; l’ensemble a le caractère d’une attente passionnée, imaginaire en un sens, mais bien réelle par le tumulte du corps. Il est de première importance de retrouver ces caractères dominateurs même dans le cas où c’est, comme on dit, une sorte d’image ou de vision ou audition fantaisiste qui retient l’attention et se fixe principalement dans la mémoire.

Considérée sous cet aspect, l’imagination est folle et déréglée par sa nature. D’abord il est assez clair que le jugement et le tumulte du corps réagissent continuellement l’un sur l’autre, comme l’anxiété, la peur, la colère en témoignent. Et après que les mouvements désordonnés et contrariés du corps ont assuré le jugement faux, que je suis en danger, ou que cet homme me méprise, ou que cette ville me sera funeste, aussitôt de ce jugement suit une agitation nouvelle, résultant d’actions commencées, retenues, contrariées ainsi qu’il arrive quand l’objet manque ; et cette agitation ranime l’émotion. Ainsi le jugement, s’il ne trouve point d’objet trouve du moins des preuves ; car le tremblement et la fuite ne me guérissent point de la peur, tout au contraire. Désordre donc dans le corps, erreur dans l’esprit, l’un nourrissant l’autre, voilà le réel de l’imagination, non sans des visions d’un instant peut-être, ou bien des perceptions mal contrôlées, dont il faut maintenant parler. Mais il fallait d’abord protéger l’esprit investigateur contre cette éloquence descriptive propre aux passions, et qui ferait croire que les visions sont encore plus saisissantes que le récit. Si le lecteur regarde de cette manière prudente, que Descartes nous enseigne, peut-être apercevra-t-il que l’imagination a besoin d’objets. Ainsi les arts se montrent déjà, comme remèdes à la rêverie, toujours errante et triste.