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des images et des objets

tée à cette distance que parce que nous la voyons passer derrière les arbres et le clocher et même derrière les nuages. Toute distance, en bref, et donc toute position, est supposée d’après les expériences, et l’erreur y est toujours possible. C’est dire, et la remarque n’est pas nouvelle, que le jugement se joint aux impressions, et les met en forme. Quant à ce que serait l’objet sans aucun jugement qui le rejette à sa place, cela est proprement inexprimable, comme serait la lune sur mes yeux, dans mes yeux.

Mais voici une réflexion bien naturelle, et trop rarement suivie. Les images, comme dans le souvenir ou le rêve, sont des images d’objets ; on y remarque des formes, des distances et des perspectives ; une forêt peut être loin de moi dans le rêve aussi ; et une colonnade, dans la rêverie, n’en offre pas moins la profondeur, par les grandeurs régulièrement diminuées ; et la cloche, en rêve, m’envoie les sons du haut du clocher ; et la rose que je sens en rêve est entre mes doigts, ou sur le rosier. L’image n’est donc point donnée non plus, mais toujours supposée et pensée, d’après l’impression, et seulement selon une enquête moins suivie. Imaginer c’est donc percevoir, mais sans précaution ; ainsi j’imagine la lune à mille pieds en l’air, et bien plus loin à son coucher. Imaginer c’est donc encore juger et penser. Par ces vues, imagination et perception tendent à se confondre, comme elles se mêlent dans le fait ; car il n’y a point de paysage que je perçoive sans erreur sur les distances, les grandeurs et la nature des objets. Le soleil reflété dans un carreau de vitre fera croire à une flamme, et ainsi du reste. L’imagination serait donc une perception fausse.


Si maintenant je cherche d’où vient l’erreur dans les perceptions fausses, je retrouve sans peine premièrement un état du corps et des sens, qui me fait croire que l’objet est autre, comme si, au sortir de l’obscurité, je juge qu’une lumière, en réalité faible et éloignée, est fort vive et tout près de moi. Deuxièmement une croyance fondée sur quelque émotion ou