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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

sonne n’hésite à retrouver sous le jeu des ombres la vraie couleur de la chose. Or le premier travail du peintre est de retrouver cette apparence, et de réduire la perception qu’il a des objets à des taches diversement colorées n’ayant d’autre forme que le contour. Ainsi, exprimant l’objet par un seul de ses aspects, il termine par cela même cette recherche des apparences qui met si naturellement le spectateur en mouvement. Un tableau ne change point selon le lieu d’où on le regarde ; on le voit seulement plus ou moins bien ; par exemple les arbres d’une forêt peinte, ou les colonnades d’un palais peint, n’offrent point de ces courses et de ces éclipses qui donnent au promeneur une idée plus saisissante des distances et des grandeurs vraies. Au contraire on pourrait dire que le moindre mouvement du spectateur ramène pour un moment la peinture au rang d’un objet parmi les objets, par l’éclairage, les reflets, le recul, le cadre, mais, qu’ainsi la peinture s’affirme comme apparence fixée, ce qui commande aussitôt un genre d’exploration indivisible. Le spectateur, en présence d’un tableau, cherche donc le point le plus favorable, et il s’y arrête.

Telle est la première prise de la peinture, et ce n’est pas peu. La sculpture nous laisse plus libres, et nous conseille seulement ; la pensée règle ici l’attention, choisit l’heure et le point, domine enfin les apparences. Au lieu que, devant la peinture, c’est l’apparence qui nous saisit et nous arrête. Ce saisissement qui vient du dehors est une émotion déjà ; ainsi les nuances du sentiment contenu sont en quelque sorte invitées ; l’homme est aussitôt occupé de soi ; il s’interroge en face de cette apparence qui attend tout de lui, forme, vie et pensée. Et en même temps l’expression est disciplinée ; tout est ramené au respect et à l’attente ; c’est comme une cérémonie en solitude. La statue est plus familière.

On discerne déjà, d’après cette sommaire description, quelle est la puissance propre du peintre, et quel genre de langage il devra parler ; du même coup on