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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/287

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DES FORMES

ne méprise pas assez la recherche du relief par les ombres. À vrai dire elle ne peut guère s’en passer tout à fait. Mais les grands artistes font un tout autre usage des ombres. Ce sont de grandes ombres, alors, qui couvrent les formes accessoires. Elles sont comme le vêtement de l’œuvre picturale ; elles circonscrivent la forme colorée plutôt qu’elles ne la dessinent. Comme les formes sculpturales sortent du monument, mais y tiennent encore, et par là se relient au monde des choses, ainsi les formes peintes sortent de l’ombre, mais y sont toujours engagées et y ont en quelque sorte leurs racines. Le célèbre problème des valeurs, qui voudrait faire correspondre à toutes les touches colorées un certain degré de blanc ou de noir, résulte d’un préjugé de dessinateur ou de graveur qui n’a guère cessé de poursuivre le peintre. Si l’on y joint cet autre préjugé que la peinture a pour fin d’imiter exactement les apparences, on s’explique les lents progrès de la peinture, et la décadence dont elle est frappée dès que les peintres méditent autrement que le pinceau à la main. Car la peinture est l’expression immédiate du sentiment par la forme colorée ; et comme le sentiment ainsi rassemblé en sa transparence n’est pas exprimable par le discours, le peintre ne peut rien préméditer ; il cherche seulement à traduire en force affirmative cette expression qui est parfois saisie dans le regard, autour du front et des tempes et sur le bord des lèvres, et que l’art du sculpteur efface d’abord. Or cette victoire du peintre n’est possible que par préparations, essais et retouches pendant un long temps, et sa fin est de retrouver et fixer sur la toile ce que son modèle montre et dérobe d’instant en instant. Ces remarques assez obscures peuvent retenir néanmoins quelque observateur de portraits, assuré depuis longtemps qu’aucun procédé photographique n’approche de la peinture, et qu’au surplus un portrait véritable parle aussi bien, et peut-être mieux, à ceux qui n'ont point connu le modèle. Mais si l’on comprend que la forme peinte est expressive par la cou-