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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

circonstances, et qui ne donne qu’une ressemblance d’un moment. On n’aimerait point le portrait d’un homme penché en avant, ou vu d’en bas ; ces perspectives déforment en marquant trop le front ou la mâchoire ; c’est comme une sculpture vue toujours d’un même point. On se lasse de cette expression violente, et qui est plus tyrannique à mesure qu’on l’observe davantage. À quoi le dessin remédie par la légèreté, on dirait presque par le vide et l’abstrait qui lui sont propres. Il invite l’attention à courir. Mais la couleur la retient, surtout la couleur travaillée et composée qui alourdit un trait heureux. C’est pourquoi les procédés du dessin, qui préparent le portrait, doivent toujours céder à la couleur ; aussi y a-t-il fort loin d’une belle esquisse à un beau portrait. Enfin le trait dominant choque dans une œuvre finie, par exemple une verrue sur le nez, mais aussi, par les mêmes causes, un sourcil froncé, un front en coupole, un mauvais pli du coin des lèvres, et jusqu’à l’expression d’une barbe en broussaille, qui, dans le fond, n’exprime rien. Ces traits font caricature.

Les peintres ont coutume, avant de mettre un portrait en place, de dessiner le modèle en beaucoup de poses. En quoi faisant ils se le rendent familier ; mais il faut dire aussi que chacun des croquis corrige l’autre, et que le portrait devra dire à la fois ce qu’ils expriment par leur succession, et encore plus. Prenant donc le dessin pour ce qu’il est, l’artiste parvient à saisir cet équilibre du visage qui convient aux recherches du peintre. Il faut considérer que l’esquisse finale du portrait, prise comme dessin, est la moins ressemblante de toutes pour l’œil du spectateur, car tous les moyens vulgaires de ressemblance en sont éliminés ; ce n’est que la forme exacte des apparences colorées sans aucun trait ni ombre sculpturale. La forme solide en est presque effacée ; elle reviendra peu à peu, mais par la couleur surtout, jusqu’à ce que l’expression du sentiment total, qui assure la ressemblance, lui donne la réalité. Le long travail du peintre n’a point d’autre règle qu’une imitation des