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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/335

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DE L’ANECDOTE

qui n’est que du théâtre d’un instant et muet, ne fournit aucun aliment à ce genre de méditation où l’on est jeté par la lecture du Lys ou de Béatrix.

Cette profondeur rassemblée est plus sensible encore dans le portrait. Et c’est une occasion de redire que le dessin ne peut s’élever au portrait. Car il s’agit ici de portraits qui doivent se substituer au modèle, et parler d’eux-mêmes et non pas seulement par la ressemblance. Or un bon dessin peut plaire par la ressemblance ; mais il ne vit un peu que pour ceux qui ont connu le modèle ; et il meurt avec lui. Or, pour les personnages du roman, nul ne s’inquiète de savoir s’ils ressemblent à quelque modèle, ou bien l’on tombe dans l’anecdote. Car, ainsi qu’on l’expliquera amplement, un être vivant, et que l’on observe, ne peut point porter le personnage ; trop de petites choses en détournent, dont le romancier justement nous délivre ; mais ces petites choses, qui ne signifient rien, sont justement ce qui occupe l’observateur. C’est donc l’œuvre qui porte le personnage, et c’est par la plume que Madame de Mortsauf a commencé de vivre, comme d’autres par le pinceau. Assurément par ces remarques on ne voit pas assez ce que c’est que le roman ; mais il me semble qu’on voit assez ce que c’est que l’anecdote, et quel genre de récit peut être relevé par le dessin.