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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

jugera ensuite si ce qui sera dit d’après cela s’accorde avec ce que l’on remarque dans les meilleurs modèles.

D’après la nature de l’écriture phonétique les signes se réduisent à un petit nombre de lettres, qui, par leur groupement et leur ordre, forment la multitude des mots. Ainsi un élément isolé n’exprime rien. Il faut remarquer aussi q’un élément ne change point l’autre et que les composants restent invariables comme les atomes des physiciens. C’est ce que le procédé mécanique de la typographie rend encore plus sensible. Car le manuscrit, par ses liaisons et abréviations, conserve encore dans ses lignes quelque chose du geste et de la danse ; mais, c’est ce qui vérifie déjà nos principes, il s’en faut de beaucoup qu’une page de belle prose soit plus belle dans le manuscrit original. Le propre de la prose est d’abord d’apparaître en sa pureté et abstraction sur la feuille imprimée, sans garder trace des mouvements de l’écrivain. D’où l’on peut tirer dès maintenant une importante règle de cet art, qui est que l’impression en doit être uniforme, de façon que les choses qui sont dites ne modifient jamais les lettres. On rirait d’un écrivain qui voudrait tantôt de petites lettres et serrées, tantôt de grandes et espacées, ou bien des lignes montantes et descendantes, des encres de diverses couleurs et ainsi du reste. Aussi n’est-il point bon non plus que les ornements typographiques s’écartent de la tradition et se rapportent trop précisément au sujet.

On voit par ces remarques que ces règles de typographie s’étendent bien au delà de l’art du typographe et pénètrent jusque dans la structure des phrases. Car ce qui a été dit des lettres est vrai aussi des mots. L’art d’écrire, ramené à son principe, consiste à peindre par des groupements d’éléments invariables, non par ces éléments mêmes ; et cet art, autant qu’il se cherche, doit rabaisser les mots au rang des lettres. Mais, comme il y a bien plus de variétés dans les mots que dans les lettres, le son et même l’orthogra-