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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

seignements là-dessus ; car on y distingue aisément des rêveries presque sans forme, et puis des raisons abstraites qui conviennent aux témoignages, et enfin des raisons réelles qui naissent du moment et de la perception. En tout homme le romanesque est donc détruit d’instant en instant. Et, à dire vrai, comme tous les essais de pure imagination, la rêverie romantique divague bientôt ; aussi elle n’échappe à l’action que pour périr par l’ennui. Mais ici apparaît l’œuvre, où l’action soutient la rêverie. Il n’y a donc point de romanesque hors du roman.

Il semble que l’œuvre propre du romancier soit de traduire le romanesque en actions. Et ce n’est pas alors l’action qui est romanesque ; c’est plutôt le rapport de la rêverie à l’action qui définit le roman, l’action ici donnant de la consistance au rêve, au lieu de l’abolir. C’est pourquoi l’action réelle n’entre jamais dans le roman ; et cela est encore vrai quand le romancier raconte une action réelle, et telle qu’il l’a vue. Le romancier n’est donc nullement historien. La liaison de la rêverie à l’action suffit pour enlever au récit le plus véridique la moindre apparence d’histoire. Et enfin le roman s’oppose à l’histoire encore plus fortement quand l’historien et le romancier peignent les mêmes personnages et racontent les mêmes actions. Ainsi ce qui est fiction dans le roman ce n’est pas principalement le récit, mais c’est le lien d’analyse qui fait que les actions sont le développement des pensées. Et dans la vie réelle cela n’est jamais. Aussi la question de savoir si un récit est vrai ou non, ou si l’auteur a inventé ou changé peu ou beaucoup, est tout à fait importune, dès que le roman fait sentir sa beauté ou sa puissance, ce qui est tout un. Ainsi c’est l’humain et l’individuel humain qui fonde tout. L’histoire au contraire, par son caractère abstrait, ramène toutes les actions à des causes extérieures. C’est pourquoi l’idée fataliste domine l’histoire, et, faute d’un mouvement rythmé assez puissant, l’historien est sujet aux passions tristes. Mais il n’y a point de fatalité dans le roman ; au contraire le sentiment qui