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CHAPITRE IX

DISCIPLINE DE L’IMAGINATION
DANS LE ROMAN

Pour les beautés de la nature, il s’en faut qu’une exacte description remplace la chose. D’après cela l’écrivain ne devrait jamais compter sur la description nue, même si la description approchait d’un dessin ; mais elle n’en approche point. Nul lecteur n’a le pouvoir de contempler comme des objets les choses que l’écrivain lui présente. Notre imagination, quand elle n’est point limitée par quelque objet, nous jette d’une esquisse à l’autre, ainsi qu’on voit dans les rêves et dans la rêverie libre ; et presque toujours, comme chacun sait, les images à peine formées s’enfuient en désordre ; l’esprit le plus puissant ne pourrait trouver de lien entre elles ; cette poursuite hébété et bientôt ennuie. Au mieux, ces folies de l’imagination jetteront le lecteur dans des rêveries tout à fait étrangères à ce qui est décrit par l’écrivain. C’est pourquoi une longue description est toujours dangereuse ; et, même dans les belles œuvres, elle commence souvent par rebuter. Aussi les livres médiocres, composés selon l’art de plaire un moment, ne s’attardent pas aux descriptions. Une belle œuvre les soutient, par un retour de pensée naturel au lecteur de prose ; mais, quand on lirait vingt fois la