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DE LA MATIÈRE

conduit à un nouvel essai. Ainsi l’artiste observateur décide par l’action inspirée, afin de percevoir quelque chose. En sorte que son modèle c’est d’abord l’objet et ensuite l’œuvre.

J’avoue que l’ambition, toujours riche de projets, nie continuellement une telle idée, d’après laquelle le désir de plaire ou d’étonner écarte toujours l’artiste de son vrai chemin. Il est pourtant vrai que tout projet détermine la matière industriellement, c’est-à-dire sans aucun égard ; au contraire la pensée esthétique se détourne toujours de l’ordre humain qui blâme et loue, et qui est de toute manière la fin de l’industrie ; mais, se tenant plus près de la chose, l’artiste l’interroge et la détermine, comme s’il demandait secours à la nature contre ses propres idées, toujours inconsistantes. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre la maxime, constamment pratiquée, mais toujours mal comprise, que la nature est le maître des maîtres. Comprenons qu’un événement réel est pour le romancier comme ces blocs de marbre que Michel-Ange allait souvent voir, et qui étaient matière, appui et premier modèle. D’autres fois le premier objet c’est le meuble non encore sculpté, mais qui offre déjà sa forme propre, et des parties de bois tendres ou dures. Pour l’architecte naïf, qui est inimitable comme on voit par les cathédrales et les vieilles maisons, le premier objet c’est l’œuvre utile qu’il veut faire d’abord ; et, en suivant cette idée, on se trouve tout près de l’ornement, comme on verra. Pour les œuvres qui naissent et meurent sans arrêt comme la déclamation, la danse et la musique, le premier objet est le premier mouvement qui s’orne de ce qui le suit, mais qui annonce aussi ce qui suivra le mieux, en sorte que les artistes dans ces genres-là sont peut-être moins libres que les autres, quoique, pour la musique, le contraire paraisse évident. Au reste il y a plus d’un genre de contrainte ici, et l’instrument y fait beaucoup, comme le violon au musicien, le ciseau au sculpteur, le crayon au dessinateur, la toile au peintre. Il n’est point d’apprenti qui n’ait observé que